Intervention de S.E.M Alexey Meshkov,Ambassadeur de la Fédération de Russie en France,sur le sujet:«Quel bilan pour le nouveau concept de la politique étrangère de la Fédération de Russie?»
Il y a un an, le 31 mars 2023, le président Vladimir Poutine a approuvé le nouveau Concept de la politique étrangère de la Russie. Ce texte est véritablement révolutionnaire. Pour la première fois, il consacre au niveau doctrinal le rôle civilisationnel particulier qui revient à notre pays. Il fixe comme objectif principal la formation d’un ordre mondial juste et durable comme étant le seul moyen de garantir la sécurité et la souveraineté de la Russie et de créer des conditions pour son développement. Le Concept fait état des vains espoirs de rapprochement avec les États-Unis et l’Europe et, de fait, officialise la désolidarisation avec l’Occident, en dressant une hiérarchie très claire des priorités régionales de notre politique étrangère : les pays de la CEI, d’Asie, d’Afrique, d’Amérique latine viennent en premier, tandis que l’Europe et les Anglo-Saxons sont tout en bas de la liste.
Ces orientations stratégiques reflètent les changements fondamentaux survenus dans le monde au cours des dernières années. Il s’agit avant tout de la formation de l’ordre mondial véritablement multipolaire. Les pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine font preuve de leur détermination à définir de leur propre chef leur vecteur de développement et à choisir leurs partenaires. Ils exigent, à juste titre, que leurs intérêts soient pris en compte pour traiter des questions mondiales et régionales.
Ce processus est cependant mal perçu par un certain nombre d’États habitués à suivre la logique de la domination mondiale et du néocolonialisme. Ils refusent de s’entendre, dans un esprit d’égalité et de respect mutuel, sur les paramètres d’une organisation plus équitable de la vie sur la planète. Les pays qui ne veulent pas se soumettre aux diktats de l’Occident collectif sont pris pour cible avec tout l’arsenal des moyens de pression dont il dispose. Ainsi, les tensions internationales ont atteint un niveau sans précédent depuis la fin de la guerre froide.
On n’a pas à chercher bien loin pour des exemples concrets. Jusqu’à récemment, l’Europe du Nord a été une région paisible et tranquille. L’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN a transformé cet espace en une zone de rivalité géopolitique. Notre ligne de contact avec l’alliance a ainsi doublé. Il existe un risque réel de l’apparition de troupes américaines dans la région – celles qui agiront selon leurs propres lois et n’obéiront pas aux autorités locales. Les tensions montent dans l’Arctique. Nous constatons que l’OTAN a commencé à former des coalitions dans des formats restreints dans la région Asie-Pacifique, avec une orientation non seulement antirusse mais aussi antichinoise. Cette activité du bloc sape la stabilité internationale et crée des menaces pour la sécurité des centres de pouvoir alternatifs à l’Occident.
Malgré les promesses faites par l’OTAN au tournant des années 1980 et 1990 de ne pas s’élargir vers l’est, l’alliance s’est rapprochée au plus près de nos frontières. Cela s’explique par le simple fait que le bloc n’a jamais pu se trouver une nouvelle raison d’être et qu’il est donc revenu à son objectif principal de l’époque de la guerre froide – l’endiguement de la Russie. Le concept stratégique de l’OTAN, adopté au sommet de Madrid en 2022, désigne notre pays comme « la menace la plus importante et la plus directe pour la sécurité, la paix et la stabilité des Alliés dans la région euro-atlantique ». La Russie se voit défiée dans toutes les zones géographiques et tous les environnements opérationnels : sur terre, sur mer, dans les airs, dans l’espace et dans le cyberespace. Les leaders occidentaux, ainsi que les fonctionnaires du bloc déclarent constamment que l’alliance se prépare à un conflit avec la Russie, tout en nous adressant des appels à une « désescalade ». La Russie n’a menacé ni ne menace aucun pays de l’OTAN.
Les États-Unis et leurs alliés, ayant mis le cap sur l’affaiblissement de la Russie par tous les moyens possibles, ont choisi notre pays-frère, l’Ukraine, pour la transformer en une anti-Russie. Les mesures prises pour protéger les intérêts vitaux de notre pays ont été instrumentalisées par l’Occident qui en a fait un prétexte pour déclencher une guerre hybride à grande échelle contre la Russie. Dans ces circonstances, la Russie est déterminée à défendre son droit au développement souverain par tous les moyens dont elle dispose. Il ne s’agit ni d’une menace ni d’une tentative de créer une « ambiguïté stratégique » dont on parle beaucoup à Paris ces derniers temps. L’opération militaire spéciale a clairement démontré que nous sommes prêts à défendre avec la plus grande fermeté la sécurité de notre pays et de nos citoyens.
Nous constatons aujourd’hui la présence en Ukraine du matériel militaire étranger, de spécialistes militaires et de mercenaires étrangers directement impliqués dans des opérations militaires. Aujourd’hui, on entend même parler de l’éventuel envoi de troupes de l’OTAN en Ukraine. En même temps, les pertes subies par les Ukrainiens n’ont aucune importance pour les Occidentaux. Pour l’alliance, ils ne sont que du matériel sacrifiable dans la poursuite de ses objectifs géopolitiques.
À cet égard, un épisode éloquent de l’histoire des relations russo-françaises me vient à l’esprit. En 1812, lors de l’invasion de la Russie, Napoléon a demandé au général russe Alexandre Balachov quelle était la route la plus rapide pour atteindre Moscou. La réponse a été la suivante : « Les routes sont nombreuses. Charles XII, par exemple, a choisi celle qui passe par Poltava ». Tout le monde connaît bien la fin de cette campagne napoléonienne, tout comme celle de l’intervention suédoise. La génération actuelle de dirigeants européens ferait mieux de se rappeler le sort de leurs prédécesseurs, ceux qui ont autrefois envoyé leurs contingents en Russie.
En ce moment, Kiev et ses « parrains » occidentaux mobilisent leurs efforts pour organiser une conférence internationale de haut niveau sur la paix en Ukraine, qui devra se tenir en Suisse dans les mois à venir. La mention du mot « paix » dans son titre ne doit tromper personne. Il s’agit de promouvoir la fameuse « formule de Zelenski », qui est en réalité une formule de poursuite du conflit. L’initiative de cette nouvelle la conférence vise à remplacer le « format de Copenhague » qui, apparemment, n’a pas réussi à rassembler sous la bannière de la guerre suffisamment d’États, surtout parmi ceux qui n’appartiennent pas au camp occidental. En d’autres termes, la forme change, mais l’essence des ultimatums reste inchangée.
Notre position de principe reste également inchangée. Toute négociation de paix et toute discussion sur son lancement sont impossibles sans la Russie et n’ont aucune valeur ajoutée. Elles doivent être précédées en amont par l’annulation du décret de Zelenski interdisant les négociations avec la Russie, la cessation des livraisons d’armes par les pays de l’OTAN au régime de Kiev et la confirmation sans équivoque par Kiev et ses « maîtres » de leur volonté de prendre en compte les réalités politiques et territoriales actuelles et les intérêts légitimes de notre pays.
Ayant mis le cap sur la confrontation, l’Occident a réduit à zéro pratiquement tous les liens avec notre pays, a imposé des sanctions économiques sans précédent, a procédé à un véritable pillage des avoirs russes à l’étranger et n’a même pas dédaigné, à son déshonneur, d’imposer des restrictions à la culture russe et d’adopter un comportement discriminatoire à l’égard de nos athlètes. Toutes ces démarches sont effectuées dans le but non dissimulé d’infliger une « défaite stratégique » à notre pays, de détruire son économie et d’ébranler la société russe dans l’espoir d’une déstabilisation interne et d’un changement de pouvoir en Russie.
Or, ces projets ne sont pas réalisés. Contrairement aux calculs occidentaux, la société russe s’est solidarisée face à une menace extérieure. Les résultats de l’élection présidentielle en Russie l’ont clairement démontré : Vladimir Poutine a remporté une victoire convaincante avec 87,28 % des voix et un taux de participation sans précédent de 77,44 %. Une forte impulsion a été donnée au développement économique. Selon les résultats de 2023, le PIB russe affichait le taux de croissance le plus élevé d’Europe (3,6 %), le revenu monétaire réel de la population augmentait de 4,6 % et le taux de chômage moyen n’était que de 3,2 %. L’opération militaire spéciale a contribué à une mobilisation spirituelle et culturelle des Russes, renforçant l’identité nationale de la Russie en tant qu' »État-civilisation authentique », comme le stipule le Concept de politique étrangère.
Actuellement, nos efforts se focalisent sur l’approfondissement de la coopération avec la majorité mondiale, c’est-à-dire les États d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine que le Concept définit en tant que zones géographiques prioritaires de notre politique étrangère. Comme l’a montré l’année écoulée, l’écrasante majorité d’entre eux est intéressée par une coopération constructive avec la Russie. Et ceci est leur choix souverain, basé sur leurs intérêts nationaux, fait sans contrainte et souvent même en dépit des tentatives de pression de l’Occident qui, dans la pire des traditions coloniales, cherche à les forcer à ne jouer que selon ses règles.
Nos relations avec la Chine traversent la meilleure période de leur histoire séculaire. En témoignent la visite d’État de Xi Jinping en Russie en mars 2023, qui était d’ailleurs son premier déplacement à l’étranger après sa réélection à la présidence de la République populaire de Chine, ainsi que la participation de Vladimir Poutine en octobre 2023 au forum international « Une ceinture, une route » à Pékin. Avec l’Inde, nous entretenons des relations de partenariat stratégique privilégié qui marquent des progrès soutenus. Les échanges se font régulièrement au plus haut niveau, ainsi qu’au niveau des diplomaties et des ministères spécialisés.
Les relations avec l’Iran, la Turquie, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Qatar se développent de manière dynamique. Notre partenariat avec les pays africains s’oriente également vers un niveau stratégique. Le sommet Russie-Afrique qui s’est tenu en juillet 2023 a démontré l’intérêt mutuel pour l’approfondissement de la coopération. Une étape importante dans le développement de nos relations avec le continent latino-américain a été la conférence parlementaire internationale « Russie – Amérique latine », qui s’est tenue à l’automne 2023. Le dialogue Russie-ANASE affiche également une dynamique positive.
Par ailleurs, nous accordons une attention particulière à la concertation avec nos partenaires dans les enceintes multilatérales, avant tout les Nations unies. Le Concept de politique étrangère stipule, entre autres, qu’il est nécessaire de rétablir le rôle des Nations unies en tant que mécanisme central de coordination pour concilier les intérêts et les actions des États. À cet égard, nous œuvrons en vue de l’élargissement du Conseil de sécurité, mais uniquement par l’inclusion des pays de la majorité mondiale. L’Occident, étant déjà largement représenté au sein du Conseil de sécurité et du Secrétariat de l’ONU, abuse de sa position privilégiée au détriment de l’équilibre mondial. Le jalon important a été l’adoption de la résolution de l’AGNU sur la lutte contre la glorification du nazisme. Le fait que ce document ait été contesté par l’Allemagne, l’Italie et le Japon, c’est-à-dire les pays qui ont déclenché la Seconde Guerre mondiale, montre clairement la nature des idées qui prévalent non seulement dans ces pays, mais aussi dans l’ensemble de l’Occident.
Les BRICS, dont la Russie a repris la présidence cette année, constituent l’une de nos priorités. Cette association reflète au mieux l’émergence d’un ordre mondial multipolaire. Entre 1992 et 2022, la part du G7 dans le PIB mondial en termes de parité de pouvoir d’achat est passée de 45,7 % à 30,3 %, tandis que celle du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud est passée de 16,5 % à 31,5 %. En 2028, les BRICS élargis au G10 devraient générer environ 37 % du PIB mondial, tandis que le G7 tombera en dessous de 28 %. Notre présidence se donne comme priorités : l’approfondissement de la coopération politique, sécuritaire, économique, financière, culturelle et humanitaire, ainsi que l’intégration la plus rapide et organique des nouveaux membres dans le travail de tous les mécanismes des BRICS. Nous considérons que le modèle de coopération des BRICS, fondé sur des relations d’ouverture et de confiance et sur les principes d’égalité souveraine, de respect du choix de sa propre voie de développement et de prise en compte garantie des intérêts de chacun, est le mieux adapté pour devenir le fondement d’un ordre mondial multipolaire plus juste.
En plus des BRICS, la Russie préside également la CEI cette année. Nous envisageons d’accorder une attention particulière à la mise en place de l’Organisation internationale de la langue russe, créée par la décision du sommet de la CEI à Bichkek à l’automne 2023.
Au sein de l’Union économique eurasiatique, la Russie et ses partenaires cherchent à approfondir l’intégration eurasienne, tout en faisant le lien avec des projets tels que « Une ceinture, une route » de la Chine, l’OCS et l’ANASE. Ces efforts visent à contribuer à la formation d’un Grand partenariat eurasiatique, qui donnera non seulement un élan au développement économique des pays de notre continent, mais créera également une nouvelle architecture de sécurité égale et indivisible en Eurasie, sans que des États extrarégionaux puissent infiltrer ces processus avec leurs propres règles.
Nous avons l’intention de progresser le plus activement possible dans la mise en œuvre de ces priorités de notre politique étrangère au nom de la construction d’un ordre mondial juste et stable dans lequel les intérêts de la Russie et de tous les autres États seront également garantis.
Enfin, je tiens à évoquer l’attentat terroriste atroce et barbare perpétré le 22 mars à Moscou. Nous sommes reconnaissants aux pays et aux peuples qui ont partagé cette douleur avec nous. Les exécutants directs de cet attentat ont été arrêtés, mais il reste à identifier ses organisateurs et commanditaires. Quoi qu’il en soit, la tragédie de Moscou est un nouvel avertissement brutal que le terrorisme est bien vivant et nécessite une action concertée de l’ensemble de la communauté internationale doit joindre ses efforts dans la lutte contre ce fléau.